La Femme 100 têtes

Cent têtes me regardent, j'ai cent têtes à la place de la mienne - et pourtant je ne vois rien : dans le miroir, je ne vois que mon corps sans tête. J'ai emprunté cent paires d'yeux à mes proches, et pourtant je suis aveugle envers moi-même. Qui est alors ce proche, ces proches, dont j'ai emprunté le regard qui reste aveugle? "Qu'est-ce donc que notre voisin ? Quelque chose en nous, des modifications de nous-mêmes qui sont devenues conscientes : une image, voilà ce qu'est notre voisin. Qui sommes-nous nous-mêmes ? Ne sommes-nous pas aussi rien d'autre qu'une image ? Un quelque chose en nous, des modifications de nous-mêmes qui sont devenues conscientes ? Notre Moi dont nous sommes conscients : n'est-ce pas aussi une image, quelque chose en dehors de nous, quelque chose d'extérieur, à l'extérieur ? Nous ne touchons jamais rien d'autre qu'une image, et pas nous-mêmes, pas notre Moi. Ne sommes-nous pas étrangers à nous-mêmes et aussi proches de nous-mêmes que notre voisin ?" (Nietzsche, Œuvres complètes, In: Klossowski, Cercle vicieux) Le chemin éternel du surréalisme oneirique vers soi-même en faisant un détour, qui incite à continuer et continuer et détourne du chemin vers le but, qui est le sujet des pensées oniriques... il s'en va de plus en plus loin avec chaque image de la conscience cinématographique... Et c'est pourquoi de nouveaux Duviviers, Jordans, VanDerBeeks peuvent toujours apparaître : l'image cinématographique ne s'épuise jamais mais ne se rapproche jamais non plus, même si elle utilise le langage visuel le plus étonnant et apparemment le plus individualisé. Les images empruntées à nos proches ou leur subjectivation apparente (graver notre signature sur une vieille gravure ne suffit pas pour la rendre nôtre) ne nous rapprocheront pas de nous-mêmes et le surréaliste Ernst ne brille pas moins dans le vide que les prétendus films sans narrateur, comme ceux de Jordan mentionnés précédemment. (01/03/2020)